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Publié le 28/03/2023

AIFE : pouvez-vous nous présenter le FNFE-MPE ?

Cyrille Sautereau : Le Forum National de la Facture Électronique (FNFE) a été créé début 2012 en application de la décision de la Commission européenne de 2010 de créer un forum européen sur la facturation électronique, relayé par des forums nationaux dans chaque État Membre. Deux ans plus tard, la Commission européenne décide de créer un second Forum européen centré sur l’e-procurement public. La France décide toutefois de de ne constituer qu’un seul Forum traitant à la fois des sujets e-procurement et de facture électronique. Le FNFE devient alors le FNFE-MPE (Forum National de la Facture Électronique et des Marchés Publics Électroniques).

 

En 2015 j’en deviens le président et nous nous rapprochons alors du Forum Allemand (FERD) qui développe un concept de facture hybride (ZugFerd) similaire à ce qui se faisait en France. De ces travaux communs émergera le format Factur-X.

 

Pour accompagner le développement de la facturation électronique en France, le FNFE-MPE, qui était jusque-là une structure informelle, sans existence juridique, se constitue alors en association au printemps 2016. Il se veut un lieu d’échange, de partage d’expérience et de bonnes pratiques, d’observation, de normalisation et de concertation ouvert à toutes les parties prenantes : des entreprises utilisatrices, des associations, des ordres ou syndicats professionnels, des prestataires de services ou de solutions, et des services de l’État comme la DGE, la DGFIP ou l’AIFE par exemple.

 

 

AIFE : quelles sont aujourd’hui vos membres et vos missions ?

Aujourd’hui le FNFE a pour mission principale d’accompagner le déploiement de la facture électronique en France, en relation avec les autres forums européens et travaux de normalisation. Il compte aujourd’hui plus de 180 membres, dont une trentaine de groupements sectoriels ou de fédérations professionnelles qui représentent des milliers d’entreprises, des experts et entités de conseil et intégration, et environ 120 offreurs de solutions (éditeurs ou opérateurs).

 

AIFE : et vous-même ?

Cyrille Sautereau : À titre plus personnel, j’ai une expérience très longue de ce sujet, depuis la fin des années 90, avec notamment la création d’un des premiers opérateurs de facturation électronique dans les années 2000 et une implication très tôt dans les travaux européens. J’ai aujourd’hui une activité de conseil sur tout ce qui touche aux processus achat / vente de la commande au règlement, et je continue aussi de soutenir activement différents acteurs de la facturation électronique en France sur les aspects normatifs, d’approche stratégique et de préparation à la réforme en France notamment.

 

 

AIFE : avant d’évoquer le développement de la facturation électronique interentreprises, revenons sur Chorus Pro qui a fini d’être déployé en 2020. Quel est aujourd’hui votre bilan, 3 ans plus tard ?

Cyrille Sautereau : Le bilan de Chorus Pro pour moi est très positif. Tout d’abord sur la méthode, basée sur la concertation, le FNFE ayant été très impliqué sur son déploiement et ayant pu collaborer de manière efficace avec l’AIFE. Autre point fort, l’ampleur de Chorus Pro, même s’il est limité pour l’instant au B2G (facturation avec la sphère publique). L’expérience acquise de Chorus Pro va être très utile pour réussir le déploiement de la facturation électronique B2B (interentreprises) dans ces prochains mois, même s’il existe tout de même un contexte assez différent à la fois dans les usages, dans les normes et messages utilisés et dans le périmètre fonctionnel avec le volet e-reporting. Par ailleurs, je trouve qu’on n’a pas toujours assez conscience en France que l’ampleur du seul déploiement de Chorus Pro, avec 74 millions de factures traitées en 2022, 1 million d’entreprises embarquées, est assez unique en Europe. A titre d’illustration, les pays du Nord de l’Europe, comme le Danemark, la Norvège ou la Suède, où la facturation électronique B2B / B2G est très développée en pourcentage de pénétration, ont un volume de factures électroniques et d’entreprises embarquées tout à fait comparable à ce qui se fait en France sur le seul périmètre B2G (secteur public), de par la taille économique plus petite de leurs pays.

 

 

AIFE : un mot sur la participation du FNFE à la gouvernance de Chorus Pro (IPM) et à la démarche de concertation avec les entreprises dès le début de l’AIFE ?

Cyrille Sautereau : La démarche collaborative de la gouvernance, à travers l’IPM, l’Instance de Pilotage Mutualisé, dont le FNFE est l’un des membres est à saluer, même si je considère qu’elle est encore parfois trop dominée par les besoins des entités publiques et non des entreprises, et même si la situation s’est toutefois améliorée en 2022 lors du dernier IPM avec la présence en plus de l’IPM du club Chorus Pro pour représenter les entreprises.

 

 

AIFE : au-delà de Chorus Pro, quel est le niveau d’usage la facturation électronique entre entreprises en France avant même la mise en œuvre à venir de l’obligation ?

Cyrille Sautereau : Cela fait en effet 30 ans que la facturation électronique existe, principalement intra sectorielle (automobile, aéronautique, grande distribution…), au début sous forme d’EDI (Échange de Données Informatisé) direct, puis, depuis le début des années 2000, à travers des plates-formes de facturation électronique, généralistes ou sectorielles. Il est compliqué de répondre en termes de chiffres précis à cette question. Au niveau européen, on estime toutefois qu’on se situe un peu au-delà de 15% de factures électroniques structurées. La France se situant dans la moyenne européenne, ce chiffre de 15% est une bonne estimation de la situation actuelle. Mais ce chiffre ne peut mécaniquement guerre croître, peut-être à 20 ou 25% maximum, car il est basé exclusivement sur des échanges EDI, qui sont intrinsèquement limités aux flux concentrés souvent appelés par les grandes entreprises qui échangent beaucoup de factures au sein de leur secteur avec leurs fournisseurs. À côté de ceci, la pratique d’une facture électronique au format PDF s’est aussi développée, avec de l’ordre de 25 % des flux, mais une faible intégration et automatisation du fait de l’absence de données fiables et directement exploitables. Il y a aussi une prolifération de Portails acheteurs ou vendeurs qui obligent les entreprises à venir les y chercher ou à les y déposer avec souvent une saisie ou validation manuelles des données de facture permettant un traitement intégré. Seule l’obligation qui impose une façon unique d’échange des factures pour tous pouvait permettre la généralisation de la facturation électronique en France en quelques années et avec un bénéfice partagé et un alignement des pratiques, face aux 30 dernières années qui nous ont amenés à la situation actuelle.

 

 

AIFE : est-ce que cet existant, certes limité à 15 ou 20% des échanges en factures structurées, mais qui représente tout de même plusieurs centaines de millions de factures, est l’une des raisons du choix par la France du fameux modèle en Y (mettre lien sur ancien article l’expliquant) pour la généralisation de la facturation électronique interentreprises ?

Cyrille Sautereau : Nous avons en effet, tant au sein du FNFE qu’avec les grands syndicats patronaux, beaucoup milité pour que la réforme de la facturation électronique n’oblige pas à migrer tout ce qui existe, et fonctionne parfaitement, dans un schéma différent. Ces systèmes sont complexes, sont sensibles, avec beaucoup de données. On voit d’ailleurs qu’en Italie, qui a fait le choix d’un système centralisé avec un format unique de facture, cela conduit à faire coexister des échanges EDI historiques avec des flux réglementaires centralisés, avec les conséquences de désynchronisation entre la gestion opérationnelle et la gestion réglementaire. Le choix de l’administration française de ce modèle en Y est clairement à mes yeux meilleur et plus adapté à la réalité des entreprises. Il est d’ailleurs intéressant de constater que c’est plutôt ce modèle décentralisé dans les échanges de factures qui a été retenu au niveau de l’Union européenne avec le projet de Directive en cours de discussion. Ce modèle en Y a aussi un autre atout essentiel, celui de permettre que l’écosystème qui accompagne ce secteur puisse continuer de se développer, en adressant notamment les spécificités de divers secteurs et écosystèmes. Il doit aussi savoir rester souple et donc permettre à la fois un cœur de données à échanger strict et uniforme tout en laissant une certaine flexibilité pour adresser la richesse d’information que les entreprises ont l’habitude de partager au travers des flux de factures, ce qui est la force du format Factur-X (voir ci-après)

 

 

AIFE : vous être très présent dans les instances européennes, et vous avez donc un regard privilégié sur ce qui se fait ailleurs. Pouvez-vous nous partager votre vision des différentes approches en Europe ?

Cyrille Sautereau : Globalement on peut distinguer 3 approches, en prenant bien soin de distinguer deux axes, celui de la facture électronique, et celui du e-reporting :

  • Les pays qui sont sur des schémas plutôt centralisés comme l’Italie, la Pologne (dont la réforme vient d’être décalée de quelques mois) et la Roumanie ;
  • Les pays qui ont démarré d’abord avec le e-reporting et sont moins avancés sur la facture électronique comme l’Espagne, le Portugal, la Hongrie et l’Allemagne qui y réfléchit également. On peut aussi citer la Grèce qui est un peu particulière, car elle est sur un niveau de e-reporting beaucoup plus fin, qui se rapproche quasiment du FEC (Fichier des écritures comptables) français, mais en quasi-temps réel ;
  • Les pays du nord de l’Europe qui sont dans une culture différente et ne sont pas dans la logique d’une quelconque obligation pour déployer la facture électronique. Ils l’ont développé depuis très longtemps et ils n’en ont pas besoin.

La France a une approche hybride, à la fois décentralisée pour l’organisation des échanges de factures au travers de plateformes immatriculées (les PDP), mais gouvernée de façon centralisée avec le Portail Public de Facturation (Chorus Pro étendu au B2B) qui est aussi une plateforme d’échange, inspirée de ce qui existe au Mexique par exemple, sans oublier l’intégration du périmètre e-reporting en même temps. Tout ceci fait que la France est assez observée en Union européenne, par les pays qui se préparent au même type de réforme et pour l’alignement européen attendu pour 2028.

 

 

AIFE : un mot sur le format Factur-X dont le FNFE est le grand promoteur ? À qui s’adresse-t-il ?

Cyrille Sautereau : Le format Factur-X a été imaginé pour répondre en priorité aux besoins de PME et des TPE, l’EDI leur étant peu adapté et nécessitant des outils assez spécifiques. Factur-X est à la fois adapté aux besoins des PME/TPE et à leur capacité de faire. Ce format hybride est en quelque sorte le meilleur des deux modes : une facture lisible qu’on peut regarder, comme un simple PDF, et des données structurées de facture pour que les ordinateurs puissent les traiter automatiquement. Ce format se développe aujourd’hui considérablement en France, et est au cœur de la réforme. C’est moins le cas en Europe, notamment dans les instances normatives, où beaucoup souhaiteraient qu’on passe directement à un monde de factures structurées complet, ce qui nous semble au FNFE, totalement déconnecté de la réalité des entreprises dans un contexte d’obligation de faire rapidement.

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